La vie est pleine de mystères, de surprises, d’épreuves et d’injustices. La vie, c’est cette belle rose qui s’épanouit le matin et se fane après un coup de soleil ou un soufflement de vent. Tinna est une belle femme quadragénaire, ravissante comme une fleur qui éclos un beau matin de printemps, s’étire et se déplie.
Tinna aime la vie, aime marcher, rire, danser et chanter. Elle se sent libre de ne rien posséder. Elle se sent riche de vivre pleinement sa liberté.
Tinna parle crûment, ne mâche pas ses mots mais s’abstient de blesser les autres.
Tinna dissimule son nom de peur d’être visible, d’être repérée. Elle voile son identité mais en porte la marque indubitable puisqu’elle ne se vête que d’une robe Kabyle.
Le message qu’elle veut transmettre est peut-être que la kabylité est en soi liberté ? Que la femme est en soi liberté? Que la vie est liberté ? Allez savoir !
Pendant que l’espace suffoquait de fumée de cigarettes, elle était allongée sur un canapé, comme une reine sur son trône, cigarette au bout des doigts, perdue dans ses pensées, les sentiers sinueux de sa vie. Son corps sensuel s’étale avec volupté comme une perle d’eau caressant les fleurs d’automne. Il était parfait, harmonieux et ravageur. Elle s’évertuait à montrer fièrement une partie de sa jambe comme pour révéler son côté sensuel qu’elle sait irrésistible et qui ne peut laisser quiconque indifférent. Ses cheveux châtains et soyeux étaient en parfaite harmonie avec son teint doré et lumineux. Son regard profond, insondable exprimait sa déception et la perte de confiance en l’être humain. Elle est comme un animal blessé. De temps à autre, elle éclatait de rire pour une anecdote insensée. Comme quoi, les balafres du temps n’ont pas atteint son âme d’enfant. Je la regardais et admirais sa beauté et son charme. Avec un français correct voire académique et un petit accent québécois, elle me parlait et se parlait à elle-même comme dans un étrange échange romanesque.
J’essayais de me synchroniser avec elle pour qu’elle se confie à moi, qu’elle ouvre son cœur à l’inconnue que j’étais pour elle.
J’essayais de lui faire comprendre que peu importe ce qu’elle avait à me dire, j’avais l’oreille attentive et je comprenais toutes ses peines.
Tinna est une rebelle. Une révoltée. Une femme insoumise.
Tinna a quitté le monde de la raison pour fuir sa cruauté.
Tinna préfère déambuler dans les rues canadiennes, vagabonder fièrement au gré de ses désirs que de vivre sans dignité dans un manoir où la lâcheté des uns se conjugue à l’opportunisme collectif.
Tinna s’est fait un royaume de beauté et de magie qui semble rempli de couleurs et d’éclats.
Tinna ne cherche pas à se faire aider mais elle est plutôt en quête d’amitié et de sincérité. Elle ne veut pas mendier la solidarité d’un peuple qui, pour elle, a perdu ses repères.
Tinna saura t’expliquer qu’il ne faut jamais prendre une gorgée de vin au moment où un enfant parle.
Tinna saura aussi t’expliquer que quand quelqu’un vient chez toi, un cadeau à la main, il faut comme l’exige la tradition, à ton tour lui remettre un présent. C’est que Tinna a su garder les règles immémoriales de bienséance.
Tinna se fout éperdument du monde d’aujourd’hui plein de mensonges et de cruauté.
Si tu croises Tinna, ne lui parle surtout pas de Taqbaylit, ce capital de valeurs ancestrales, car elle déguerpirait les lieux.
Si tu lui parles de ces personnes qui luttent pour Taqbaylit, elle te dirait qu’elles en sont dépourvus et que tout dans leur comportement est mensonge et tromperies.
Tinna ne te dira rien de ce qu’elle a vécu car elle sait que l’ami d’aujourd’hui peut s’avérer l’ennemi de demain et qu’il se contreficherait de ses douleurs et de ses souffrances.
Tinna est comme toutes ces femmes qui n’ont pas supporté l’injustice et l’hypocrisie de toute une société. Elle a préféré s’en éloigner pour errer sans chaînes, errer encore et toujours…
Marche, crie, danse, chante…Tu es une descendante d’une reine. Tu es une reine.
Les jours passèrent et Tinna resta gravée dans ma tête comme une œuvre majeure, féministe et libertine qui invite à penser autrement. Une œuvre où l’amour, la sensualité, la joie de vivre, la liberté, l’intelligence, l’insouciance se mêlent à beaucoup de souffrances indicibles.
Qui es-tu, ange des rues ?
Il doit y a avoir en toi quelque mystère inconnu pour nous jusque-là. À coup sûr, tu es pétrie d’un limon autre que le nôtre. Que tu sois de feu ou de glace, tu restes l’ange qui a fait le choix de quitter le monde des démons et opté pour vivre pleinement son innocence.
Où es-tu, reine vagabonde?
Tinna, pardonne-moi, pardonne-nous…Tu es dehors alors que l’hiver est aux portes de la ville avec ses neiges chargées de froid. Tu continueras à errer encore et encore alors que nous serons turpidement calfeutrés au dedans.
Sabrina Azzi, le 05 octobre 2019.