« Les livres ne sont pas faits pour être crus, mais pour être soumis à l’examen. Devant un livre nous ne devons pas demander ce qu’il [l’auteur] dit mais ce qu’il veut dire. » Disait Umberto Eco dans « Le Nom de la rose ».
Le directeur d’une entreprise a été découvert mort – le lendemain – par la femme de ménage. L’enquête qui prend place ensuite tente de percer l’origine de cette fin en passant au peigne fin les différents mobiles d’un éventuel crime. Le directeur, se serait-il suicidé, serait-il victime d’un règlement de comptes ou d’une vengeance ? Cela est moins évident pour quelqu’un qui n’a jamais eu de soucis avec ses partenaires et employés. S’agit-il finalement tout simplement d’un assassinat ? Toutes ces questions instaurent un voile autour duquel s’imbrique tout dans la pièce. L’enquête menée par l’inspecteur Lemieux nous invite à le percer à travers ses mots et son regard d’homme simple et expérimenté. Cette longue expérience est exprimée en ces propos à son agent Lajoie : « J’ai passé plus de 25 ans à chercher l’odeur de l’assassin dans les trous de mémoire, parmi les plis du mal, sous l’ombre des victimes, le souffle des coupables et l’inconscience du passé. J’ai passé ma vie à côtoyer le mal et le mensonge, la douleur et la joie, le supplice et la crainte, le vice et l’opportunisme. On change de victime, de scénario… mais la mort est toujours la même. »
La pièce de théâtre « L’amertume de la douceur (1) » plonge le lecteur dans l’univers des mensonges que chacun confectionne à sa manière pour se protéger du regard des autres, du mépris pouvant découler de la découverte de sa vraie personnalité. Dans la société « moderne » du paraître, la liberté n’est qu’un vain mot avec lequel jouent ceux dont cette dernière (la liberté) est aliénée par la soumission aux valeurs perverties que le modèle social véhicule: domination, ségrégation, cupidité, luxure, etc.
« L’amertume de la douceur » nous invite à répondre à la question qui se pose timidement tout au long des échanges entre les personnages : C’est quoi la beauté ? Est-elle en ce que l’on simule ? Le sexe, la beauté que l’on voit, le rang et le statut social, la richesse, l’origine ethnique, ne sont-ils pas des masques qui faussent chacun des personnages que l’on découvre à travers les deux actes de la pièce « L’amertume de la douceur » ? Et l’Être, a-t-il une place honorable dans cette mascarade sociale que l’on nomme « société civilisée » ? Comme le souligne l’inspecteur à la fin du deuxième acte : « L’Être ne compte plus pour les machines sociales qui broient la beauté des âmes. »
« L’amertume de la douceur » invite le lecteur sur des chemins différents [des enquêtes policières] pour découvrir le mobile du crime ; pour tailler les ronces qui enlaidissent les jardins de la beauté. Comme le lecteur le découvrira, le puissant impose et oblige le démuni à subir la honte de ceux qui vivent dans les prisons embellies par « les codes-barres ». On est dans une forme de pièce de théâtre à l’infini dans laquelle chacun de nous joue son rôle de comédien pour plaire ou déplaire.
L’enquête menée par l’inspecteur Lemieux et son agent Lajoie met en avant le vécu et les fuites en avant de ces personnes qui sont témoins du passé de la personne assassinée. Trahison, mensonge et vanité reviennent souvent dans les dialogues pour nous « permettre » de nous intéresser plutôt aux vivants qu’à la personne décédée ; la frustration, l’effacement et le mépris sont également les éléments qui vêtent « ceux qui sont nus. » Et la femme de ménage le mentionne bien à l’inspecteur Lemieux : « Comme vos institutions, Inspecteur, vous ne voyez rien des âmes perdues, des larmes du peuple accablé par le poids de ceux qui ont pignon sur rue. Vous êtes engagés pour assurer l’ordre ; un ordre même au détriment du bonheur des autres (…) Qu’a-t-on à faire d’une femme de ménage si sa mort pouvait sauver la République ? »
Enfin, « L’amertume de la douceur » empreinte les chemins de la simplicité pour nous conduire sur les sentiers boueux des cœurs des humains ; dans les cœurs abîmés des vies en souffrance dans ce monde où l’homme est écrasé par les discours inoculés dans les cerveaux malades, où le paraître est dressé comme une norme sociale… L’inspecteur Lemieux réussira-t-il à extirper la beauté – la vraie – des mains sales de la laideur ?